Comment faire un tabac et s’assurer d’un battage médiatique et de la notoriété avant même d’avoir achevé son premier film ? Haider Khan, photographe en vogue pour des productions de Bollywood, a la recette : prenez une crise humanitaire, un bodybuilder bhoutanais, une top model bangladaise, une pincée d’héroïsme des forces spéciales indiennes – autant racoler aussi le marché des nationalistes indiens – et surtout insistez sur le sérieux et le réalisme de votre œuvre et sur la rupture qu’elle introduit par rapport au cinéma indien habituel. C’est a priori la formule du film Rohingya : Peuple sans terre, qui sortira fin 2020.
« C’est le premier long métrage sur le génocide des rohingyas et leur détresse. Il apportera un éclairage sur le sujet et racontera également l’histoire méconnue des forces spéciales indiennes parachutistes », annonce Haider Khan, qui insiste que son long métrage est en rupture avec les paillettes des blockbusters habituels du système indien : danses, chansons, machisme et sentiments simplistes. « Le film a été tourné avec la lumière naturelle et on n’avait pas vraiment de coiffure et de maquillage. J’ai voulu apporter du réalisme pour transmettre leur douleur », déclare ainsi le réalisateur indien, dont le père fut un parachutiste de l’armée indienne.
Réfugiée d’accord, mais jamais sans son eye-liner
A voir les deux affiches de présentation du film, le réalisme ne semble pourtant pas être la clef de cette production des films du Lion. Sur l’une, une affiche digne de Expendables, cinq gros bras bien nourris, chargés à bloc – au propre comme au figuré -, fusil mitrailleurs, grosses boots et bérets (probablement pour faire plus « réaliste »…) marchent en ligne avec en fond un paysage minimaliste de guerre et plein de fumée… L’autre affiche ? Une « réfugiée rohingya » apparaît seule, elle aussi bien nourrie, la peau claire et le trait d’eye-liner minutieusement dessiné, flingue en main… Au vu des photographies circulant depuis 2016 et le début de la crise humanitaire vécue par ces musulmans arakanais, le réalisme manière Haider Khan laisse songeur, voire laisse sur sa faim, comme le dirait sans doute certains des quelque 700 000 réfugiés aujourd’hui au Bangladesh.
En tête d’affiche, le bodybuilder et ancien Mister Bhoutan Sangay Tsheltrim, un profil plus Sylvester Stallone que Dustin Hoffman, et la mannequin bangladaise Tangia Zaman Methila, plus habituée des podiums que des camps de réfugiés. La communication est pourtant déjà bien rodée, et la top model de reprendre allègrement en écho au réalisateur le refrain de la rupture et du nouveau souffle dans le cinéma indien : « Je crois que notre film va être absolument différent de la plupart des films grand public de Bollywood ».
Des parachutistes indiens tombés du ciel…
Sur une chose, Haider Khan s’engage à témoigner : son film est un film d’action – et tous les témoins de l’exode et des exactions qui ont duré des mois dans l’Arakan confirment que l’action n’est pas ce qui a manqué à l’époque, les mêmes laissent aussi entendre qu’ils auraient préféré une version plus soft et plus proche de Love Story… Malheureusement, même là, l’action est trompeuse, puisque Khan centre son film sur l’action des parachutistes des forces spéciales indiennes pour sauver des rohingyas. Une action dont seul le réalisateur semble être au courant, mais que sans nul doute pleins de gens connaîtront dans les détails les plus réalistes après la sortie du film.
Reste qu’il ne faut pas enlever à cette histoire la médiatisation que le film pourrait amener à la cause des musulmans arakanais. Haider Khan voit dans la fiction un outil de sensibilisation : « Tout le monde n’est pas intéressé à regarder un documentaire ou à lire des articles. Souvent, les films ont attiré l’attention sur des questions qui, sinon, seraient restées inaperçues pendant des décennies », sans vraiment citer d’exemple. Une seule certitude pour ceux qui voudront se plonger dans cette œuvre tournée au Bhoutan et dans l’Assam : il leur faudra le faire dans un cinéma de Bangkok, de Dhaka ou d’ailleurs. Car puisque le réalisme semble être le credo de Haider Khan, reconnaissons qu’il est plus que réaliste de penser que son long métrage ne trouvera sans doute ni son public ni la moindre salle pour être diffusé en Birmanie…